Nicolas Mantran : « Nous avons profité de notre refonte éditoriale pour tenter l’écriture inclusive. »

Dernière révision : 9 novembre 2017

Sur le web et dans nos mails, l’écriture inclusive fleurit : on lit « auteur.e » et plus non plus « auteur(e) », les « droits de l’humain » et non les « droits de l’Homme ». Le principe ? Ne plus favoriser le masculin par rapport au féminin dans la syntaxe. Nicolas Mantran, UX designer chez Neo-nomade, nous raconte la mise en place de l’écriture inclusive lors d’une refonte éditoriale web.

Nicolas, peux-tu te présenter et nous expliquer depuis combien de temps tu t’intéresses à l’écriture inclusive, et pourquoi ?

« Depuis trois ans, je suis chef de projet web et designer d’expérience utilisateur (devrait-on dire « utilisateur·rice » aujourd’hui ?). Mais avant cela, mon parcours pro est passé par le milieu social associatif. Depuis l’université je m’intéresse à la thématique de la construction du genre et de la domination sociale masculine. Ces sujets me tiennent et me tiendront toujours à cœur. Et pourtant, l’écriture inclusive est une pratique qui est relativement nouvelle pour moi. Je l’applique de manière personnelle depuis deux ans environ (mails, posts, messagerie instantanée…) et de façon professionnelle depuis quelques mois.

J’ai commencé par éprouver une forme d’amusement à rajouter des parenthèses autour de l’accord féminin, jusqu’à ce que je réalise que ce type de ponctuation incarne un symbole abaissant. C’est une bien belle intention de ne plus admettre que le masculin l’emporte sur le féminin, mais ça n’a aucun sens de réduire l’accord féminin à une option.

J’ai commencé à systématiser l’écriture inclusive quand j’ai découvert la pratique du point (« . ») puis de l’épicène ou point du milieu (« · ») ainsi qu’avec l’émergence de plus en plus d’articles à ce sujet depuis quelques mois.

 

Ecriture inclusive -Hatier - twitter

Hatier annonce la publication du premier manuel scolaire en écriture inclusive – Twitter

Peux-tu parler de ta pratique de l’écriture inclusive dans ton métier : est-ce facile à mettre en place, quelles seraient tes recommandations pour intégrer ce principe sur un site Internet tout en conservant une lecture fluide ?

Dés que j’écris, j’essaye de l’appliquer en « bonne intelligence ». Le plus facile a été de systématiser l’inclusion du féminin dans mes mails pro (« Bonjour à toutes et à tous, » par exemple). Puis, j’ai commencé à appliquer la règle de plus en plus souvent sur notre messagerie instantanée pro. Le plus délicat a été de faire valider des maquettes graphiques avec l’inclusion de l’écriture inclusive. Chez Neo-nomade, nous avons profité de notre refonte éditoriale pour tenter l’écriture inclusive. La pratique a donc été débattue mais au final, il n’y a pas eu de beaucoup de résistance. En effet, nous avons autant d’utilisateur·rice·s hommes que femmes. Aussi, l’intention inclusive rejoint notre mission de lutte pour le bonheur au travail et notre caractère légèrement subversif.

Neo-nomade Page d'accueil

Page d’accueil Neo-nomade novembre 2017 – refonte éditoriale en cours

Le premier blocage a été technique : « heureux.se » peut être détecté comme étant un site suédois par certains navigateurs. C’est là que le point du milieu s’avère pertinent. Malheureusement, ce point n’est pas encore accepté sur tous les sites et n’existe pas sur le clavier natif d’iPhone par exemple.

Les autres résistances ont été au niveau de la lecture. J’ai eu beaucoup de retours comme : « C’est bizarre » ou « C’est lourd à lire ». En effet, l’écriture inclusive radicale peut amener à des formulations illisibles. Ca ne se limite pas à inclure des points du milieu dés que possible. C’est aussi une nouvelle façon de penser les messages pour aller chercher des formulations plus neutres (« Droits Humains » plutôt que « Droits de l’Homme »), voire même à inventer des nouveaux mots contractés (« Toustes » pour tous et toutes, « Iels » ou « Illes » pour ils et elles). Pour ma part, je vois l’écriture inclusive comme un exercice, comme une règle évolutive, non figée et à adapter en fonction du support.

Chez Neo-nomade, nous y allons par étapes. Pour l’instant, nous nous sommes mis d’accord pour inclure les accords de participes (« Prêt·e·s ? », « Satisfait·e ? »). Mais il reste encore un travail d’évangélisation à effectuer en interne. Ca reste donc discret, mais l’intention est là.

L’Académie française s’est positionnée contre l’écriture inclusive (L’écriture inclusive, « un péril mortel pour l’Académie française« ), qu’en penses-tu ?

L’émergence de l’écriture inclusive reflète une volonté, de plus en plus partagée, de remettre un peu d’équité entre le masculin et le féminin dans la langue française.

La mission de l’Académie Française est très noble, mais je ne m’attendais pas à grand chose venant d’une institution aussi masculine et conservatrice. Je vois cette décision un peu comme le positionnement du pape par rapport au port du préservatif : ca ne change pas grand chose.

Par contre, de la à considérer que « la langue française se trouve désormais en péril mortel » face à l’écriture inclusive, c’est exagéré. A croire que l’écriture inclusive est pire pour la langue française que le langage SMS…

J’admets volontiers que l’écriture inclusive ne fluidifie pas la lecture, au contraire. Mais je vois ca comme un défi. Je suis persuadé que la langue française peut garder son élégance en intégrant, au moins en partie, l’écriture inclusive.

Peux-tu nous citer des exemples d’écriture inclusive que tu trouves particulièrement intéressants sur le web ?

La pratique est encore nouvelle. Il semble qu’aujourd’hui les sites employant l’écriture inclusive assument un positionnement, un tant soit peu, engagé ou moderne: je l’ai vu dans des médias de gauche, dans des newsletters en rapport avec le digital, ou sur des sites d’associations.

Chez Neo-nomade, c’est souvent dans les formulaires, dans les messages d’erreur et de confirmation que l’on glisse des formulations inclusives. Sur savonsdesaison.fr, site sur lequel j’ai travaillé, l’écriture inclusive est utilisée pour certains titres, mais pas dans les textes (ex. savonsdesaison.fr/partenaires).

Encore une fois, l’intention est là mais les habitudes de lecture doivent encore s’adapter. »

Merci Nicolas ! Pour le contacter, c’est par là.

Et vous, que pensez-vous de l’écriture inclusive ?

A lire
Stephen Demange : « Comment gérer ses campagnes adwords en écriture inclusive, et le SEO ? »
@Ecrire pour le web : « Ecriture inclusive : question de genre, et de valeurs ! »

 

2 Commentaires

  • Reply Claire B. 11 novembre 2017 at 23 h 05 min

    je trouve que cette ecriture perd en lisibilité. personnellement ca me saoule grandement j avoue. et quand il s agit d ecrire ça alourdit terriblement l énoncé de la pensée et on perd en fluidité.
    je trouve aussi qu on perd du sens dans les tentatives d « égalité » : par exemple dire qu une femme est la meilleure des cuisinières est moins exhaustif que de la dire la meilleure parmi les cuisiniers.
    enfin j ai lu un ouvrage prenant le parti d accorder au genre du dernier nom cité dans une liste et là aussi le sens y perd. voyez: « l automne regorge de fleurs et de feuillages rouges  » ne dit pas la meme chose sue « l automne regorge de feuillages et de fleurs rouges »…

  • Reply Eve Demange 13 novembre 2017 at 18 h 19 min

    Bonjour Claire,
    Merci pour votre message ! En effet, l’écriture inclusive n’est pas forcément facile à mettre en oeuvre sur une interface web. Mais c’est intéressant de voir ce qu’elle peut apporter à l’expérience utilisateur, sans rien lâcher sur l’ergonomie justement. Ce que j’ai trouvé intéressant dans la démarche de Nicolas, c’est qu’il « tente » quelque chose, il n’impose rien. Chemin faisant, il invente une manière de communiquer et nous donne à réfléchir.

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