Sobriété éditoriale et visibilité SEO par Thomas Cubel : « j’essaye de faire mon maximum pour répondre aux critères low-tech. »

Dernière révision : 27 mai 2019

On sait aujourd’hui que le numérique consomme une part de plus en plus importante d’énergie. Concevoir des sites plus économes, voire low-tech, peut être une solution pour inventer le web de demain. Mais cela suppose de réduire le volume des contenus. Serait-il possible de concilier sobriété éditoriale et visibilité SEO ? Voici la réponse de Thomas Cubel, consultant SEO et conférencier passionnant.

Avant de laisser parler Thomas, un point sur le contexte : l’idée de cet article est née suite à la lecture de l’article « How to build a low-tech website » écrit par Kris de Decker, journaliste et fondateur du Low-tech magazine que je suis depuis un moment. Il s’interroge avec pertinence sur l’avenir du numérique face aux enjeux écologiques. En français, vous pouvez également lire le passionnant article paru dans le hors-série de Socialter sur l’avenir low-tech « Le numérique : citadelle high-tech ? »

Garder le meilleur du web et recentrer notre travail sur l’essentiel

En 2015 à Paris, la COP 21 a rassemblé la totalité des pays de la planète pour fixer un cap d’émissions de CO2 que nous peinons à atteindre. D’un côté, le web offre des pistes intéressantes de réduction des émissions de CO2. Il permet le développement du télétravail. Il réorganise les usages et les services de manière plus intelligente et plus économe. Il casse les systèmes de hiérarchie en libérant l’énergie collective. Il rend possible le partage d’une connaissance mondiale pour améliorer la sauvegarde des espèces, la prise de conscience internationale des risques et les mesures de protection à l’échelle internationale.

Mais de l’autre, l’utilisation d’Internet pour tout et n’importe quoi, le stockage des données, l’infobésité participent eux-aussi à la facture énergétique comme le résume très bien Laure Cailloce, journaliste scientifique pour le CNRS dans Numérique, le grand gâchis énergétique. Ordinateurs, data centers, réseaux engloutissent près de 10 % de la consommation mondiale d’électricité. Et ce chiffre ne cesse d’augmenter. 

Concevoir des sites low-tech : une solution ?

Concevoir des sites low-tech serait-il une solution possible, une piste à explorer d’urgence comme le pense Frédéric Bordage, fondateur de Green.it ? Dans How to build a low-tech website, Kris De Decker nous raconte son expérience d’éco-conception de son site web « La moindre page pèse aujourd’hui environ 2,3 Mo. J’ai tenté de diviser ce chiffre par deux et j’ai réussi à le faire par dix ». Le résultat est un site web très sobre, minimaliste : un texte noir sur fond blanc, des images compressées au maximum et un contenu recentré sur l’essentiel : de l’info et rien que de l’info !

« Dans le domaine du numérique, il devient de plus en plus évident que seule la low-tech, dans sa forme la plus créative et la plus ouverte, permet d’envisager un avenir numérique souhaitable pour nos enfants. »

Frédéric Bordage

A l’heure où la publication des contenus pour améliorer sa visibilité ressemble à une course de moutons hystériques surmenés, je me suis posée la question : serait-il possible de concilier minimalisme éditorial et positionnement sur les pages de résultat des moteurs de recherche ? J’ai posé la question à plusieurs experts du SEO que j’apprécie – à la fois pour leur expertise et pour leur prise de recul par rapport à la pratique de notre métier. J’en ai profité pour leur demander s’ils pensaient que le monde du digital était suffisamment conscient des enjeux écologiques liés au numérique.

Voici la réponse de Thomas Cubel :

Thomas, serait-il possible d’après toi de concilier sobriété éditoriale et visibilité SEO. Et si oui comment ?

« Dans la vie, je suis une personne qui a tendance à anticiper les conséquences de ses actions avant de passer à l’acte. Je ne fonce pas vraiment tête baissée sans réfléchir. Cela m’a permis notamment de me rendre compte qu’on pouvait réduire considérablement notre demande en énergie, même en faisant du SEO. Ma réponse est donc oui, et j’essaye de faire mon maximum au quotidien pour répondre aux « critères low-tech ».

Concrètement, penser les sites web de manière évolutive, bien les développer, utiliser des systèmes qui vont rendre le plus léger possible le code, les images, les vidéos, les ressources, les applications… est essentiel, et pourrait déjà permettre de réduire de manière drastique notre demande énergétique si tout projet était fait de la sorte.

Thomas Cubel

Bien sûr, cela veut aussi dire éviter d’automatiser à outrance, faire une croix sur les techniques spammys, bien réfléchir à ce qu’on veut faire en amont pour éviter de devoir tout refaire, mais c’est nécessaire aujourd’hui. Il y aurait tant à dire en SEO, que ce soit par rapport à ce qu’on fait avec les clients en direct ou même par rapport aux impacts économiques/énergétiques/écologiques des résultats qui sont apportés via la mise en œuvre de nos recommandations. C’est pour cela que je préfère prendre le temps, quitte à ce que cela coûte un peu plus cher, plutôt que de faire du pas cher qui a un coût à d’autres niveaux.

Comment vois-tu l’avenir du digital par rapport aux enjeux écologiques ? As-tu l’impression que le secteur du numérique est conscient de ces enjeux ?

Il m’est assez difficile d’imaginer l’avenir du digital, et pourtant, me projeter dans le futur, ça me connait. Mon problème réside dans le fait qu’en à peine 30 ans (si je parle de la montée du web et du numérique), on a créé des technologies innovantes, mais avec un revers de médaille catastrophique au niveau écologique… Et je vois que la course à la croissance, à la technologie, à l’innovation, est toujours présente.

J’ai un bel espoir que l’innovation se tourne du côté « vert », car nous voyons des tas de startups qui réalisent des services et produits écoresponsables, mais il y a une quantité de lobbys et de « green washing » complètement affolant. On ne prend jamais le début de la chaine de production jusqu’au dernier gramme de carbone disparu. On joue sur la perception du consommateur à un instant T (voiture électrique zéro émission, trottinette électrique zéro émission, WTF ??) et j’espère que cela changera très prochainement. On a la chance, il faut le dire, d’avoir des outils du numérique qui nous permettent de partager les idées qui ne nous plaisent pas.

Je vois donc l’avenir avec des solutions écologiques, une diminution de la marge de manœuvre côté lobby, et une prise de conscience générale. Concernant la prise de conscience du secteur du numérique, c’est encore jeune comme sujet, mais je vois une montée assez importante des actions et des paroles autour des enjeux écologiques.

Que fais-tu au quotidien pour réduire ton empreinte écologique ?

Beaucoup de choses. Je pars déjà du principe que la meilleure consommation, c’est la non-consommation. Si j’achète un produit ou un service à cause d’un argument futile (c’est la dernière nouveauté, c’est joli, c’est plus performant, etc.), je considère que j’ai perdu face à ce principe. Aussi, j’essaye de déterminer l’impact « carbone » du début de la conception du produit jusqu’à la fin de sa vie, c’est-à-dire bien après son recyclage et les débuts de la décomposition. Je réfléchis avant de faire une action encore une fois.

Je suis donc assez minimaliste et je regarde avant tout le côté fonctionnel des choses, si ça va vraiment m’être utile à fond. Il faut que ce soit un « vrai oui » pour moi. On imagine donc bien que je n’achète pas de vêtements toutes les semaines, que je pratique du mieux que je peux le zéro déchet (pas d’emballage, du vrac, je fais beaucoup de produits moi-même, je réutilise les choses), que je n’achète pas des trucs « gadgets », etc. Je préfère de la qualité, du local, des matières écologiques, etc.

Egalement, dans un tout autre registre, je suis végétarien, j’utilise des voitures qui ne consomment pas trop et j’évite les trajets inutiles, je boycotte certaines entreprises. Bien sûr, je ne peux pas faire tout « écolo », mais je fais mon maximum. Je m’instruis, je teste et je bascule vers le plus écolo.

En référencement, cela signifie refuser les lobbys. Ce n’est pas toujours facile, mais j’essaye de toujours éduquer là-dessus. »

Merci Thomas !

A lire
« Stratégie de contenu : publier moins mais mieux » sur PLUME Interactive
« Sobriété éditoriale : vers une communication raisonnée et authentique » par Ferréole Lespinasse, Cyclop éditorial
« La low-tech, un outil de résilience pour l’humanité » par Frédérique Bordage, fondateur de Green.it

2 Commentaires

  • Reply Jean-Luc Grellier 29 mai 2019 at 9 h 49 min

    Merci pour cet article précieux, notamment sur la prise de conscience.
    Je suis très dubitatif sur la capacité des gens à prendre conscience que les contenus sur le web consomment de l’énergie malgré le fait que ce soit un sujet qui va devenir central dans les gestion de l’énergie.

    En tout cas cela va prendre beaucoup de temps ! Quand on voit le temps qu’il faut pour prendre conscience que le plastique est néfaste, puis qu’il faut diminuer nos achats de produits emballés avec du plastique etc. on va dire une cinquantaine d’année, alors que le sujet est très concret : tout le monde a vu ces images du 6ème continent ou des rivrières de plastiques en asie, ou simplement les plastiques déversés sur nos plages par l’océan…

    Alors imprimer dans l’inconscient collectif que publier un contenu c’est consommer de l’énergie… là ça touche quelque chose de beaucoup plus sensible qui est de l’ordre de la culture profonde.

    On pourrait aussi partir du principe que imprimer des livres consomme trop de papier et détruit trop d’arbres… mais va t-on pour autant arrêter d’imprimer des livres et se réfugier sur des livres numériques qui vont consommer de l’énergie ? Sinon on peut aussi interdire les livres ? Je fais volontairement de la provocation… mais il faut s’attendre à voit émerger ce genre de sujet dans ce genre de débat.

    En fait la vraie question derrière tout ça est celle de l’efficience. En effet il ne faut être extrémiste ni dans un sens ni dans l’autre mais toujours se poser la question de l’efficience de ce que l’on fait, de nos actes et de leur portée. Est-ce que l’énergie que je dépense à faire quelque chose va produire suffisemment de valeur ajoutée pour justifier cette énergie ? Là aussi il faut être raisonnable… Parce que cette réflexion assez universelle touche de près la liberté d’expression et donc un droit universellement reconnu même si les réseaux sociaux sont un déversoir de l’inutilité de l’expression, cette expression reste propre à chacun et bien difficile à délimiter.

    Sujet très épineux à mon avis.

  • Reply Thomas Cubel 29 mai 2019 at 13 h 58 min

    Bonjour Jean-Luc,

    La prise de conscience est toujours quelque chose qui prend du temps, que ce soit sur des sujets de sociétés ou non. Il faut déjà faire à son niveau pour ensuite transmettre les bons gestes je pense. Personnellement, je crois beaucoup en le pouvoir du mimétisme. « J’ai fait ceci et cela, ça m’a procuré ceci », ça permet aux gens de voir que c’est possible, accessible et qu’eux aussi peuvent le faire. J’ai pour idée de créer un projet un peu plus tard à ce sujet.
    Par exemple, le zéro déchet, depuis que je me suis mis au vrac, les gens me demandent comment j’ai fait, pourquoi je n’ai plus trop de poubelles, d’emballages, où j’ai acheté tel ou tel produit… Ca tisse même du lien avec des métiers artisanaux et locaux, c’est cool et ça leur permet d’avancer dans la bonne direction 🙂
    Bref, gros débat en perspective, y compris sur l’impact de chaque chose. C’est pour cela que j’ai essayé de lancer le débat d’un indice carbone et que j’ai parlé du fait que la meilleure conso, c’est la non consommation.
    Merci pour votre avis, très pertinent. J’espère que le sujet sera lancé dans + de débats prochainement.

    Bonne journée

    Thomas

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