Alexandre Leblanc : « je ne crois pas que l’on puisse concilier sobriété éditoriale et visibilité SEO. »

Dernière révision : 28 juin 2019

Spécialiste du SEO, Alexandre Leblanc a participé à la rédaction du chapitre « réaliser une analyse sémantique » que vous pouvez lire dans Stratégie de contenu e-commerce et e-tourisme, l’ouvrage que j’ai coécrit avec Miss SEO girl. Pro du web hors pair, il a participé à quelques-unes de mes plus belles aventures professionnelles. Je lui ai demandé s’il pensait que l’on pouvait concilier sobriété éditoriale et visibilité SEO. Voici ses réponses (plutôt radicales) :

Alexandre Leblanc, référenceur
Alexandre Leblanc, spécialiste SEO

Alexandre, serait-il possible d’après toi de concilier sobriété éditoriale et visibilité SEO. Et si oui comment ?

« Au risque de paraître négatif, non, je ne crois pas que l’on puisse concilier sobriété éditoriale et visibilité SEO, du moins aujourd’hui, à cet instant T, à cause notamment des mécanismes d’évaluation employés par Google pour jauger de la pertinence d’un site par rapport à une intention de recherche : pour les décrire de façon très schématique, plus un document HTML correspond à une intention de recherche, plus ce document a de chances d’être visible dans les résultats de recherche, et pour qu’un document corresponde à une intention de recherche, il est nécessaire, entre autres choses, que celui-ci comporte du contenu « qualitatif » qui balaie les thématiques sous-jacentes à l’intention de l’utilisateur.

Là où le bât blesse, c’est que Google encourage les contenus volumineux pour montrer que le site dispose d’une part d’une expertise sur son sujet, et réponde d’autre part de manière concrète aux interrogations éventuelles de l’internaute. Plusieurs études de ahref ont mis en évidence que plus un contenu est long, plus il a de chances d’être visibles dans les résultats de recherche ; il est donc important, voire crucial dans une stratégie SEO lambda d’identifier précisément les intentions de l’utilisateur et de lui présenter des contenus répondant à ses besoins informationnels ou transactionnels. Inutile de préciser que tout ça consomme des ressources, on est très loin du low-tech

Et je ne parle même pas des stratégies SEO à base de cocon sémantique ni même des stratégies de linking pour développer la popularité du site (réseau de sites satellites par exemple), qui sont également des postes de dépense énergivores. Le seul levier à peu près positif que j’identifie parmi les stratégies d’optimisation SEO, c’est le volet technique : on a besoin d’un site techniquement stable et propre pour performer correctement au sein du moteur, ce qui permet de réduire la consommation de ressources client / serveur par exemple. Hélas, en l’état des choses, et au vu de la batterie de moyens SEO alignés en face, il s’agit davantage d’un pansement posé sur le moignon sanglant d’un amputé que d’une action véritablement efficace réduisant l’empreinte écologique du site sur la planète. Ça ne signifie pas que ça ne sert à rien d’optimiser le socle technique de son site ; il faut le faire quoi qu’il arrive, c’est toujours mieux que rien.

En définitive, le SEO low-tech n’existe pas. En SEO, faire de l’économie de moyens, c’est rester éternellement derrière les petits copains qui se sont méthodiquement appliqués à faire ce qu’il fallait pour demeurer devant : ça ne sert donc à rien et c’est une perte de temps et d’argent.

Comment vois-tu l’avenir du digital par rapport aux enjeux écologiques ? As-tu l’impression que le secteur du numérique est conscient de ces enjeux ?

Difficile de se projeter dans l’avenir sans faire un minimum de futurologie. Il suffit de constater l’évolution du web depuis les années 90 pour s’apercevoir du gouffre abyssal qui nous sépare du premier document HTML. A quoi donc ressemblera le web dans dix ou vingt ans ? Mystère. Tout ce que l’on peut espérer, c’est un web plus « vert » avec une utilisation économe des ressources, mais pour l’instant, je reste assez pessimiste à ce sujet, à mon grand regret d’ailleurs, car je suis un gars plutôt optimiste dans la vie.

Comme n’importe quel système, le web est sujet à l’entropie : d’une petite page blanche à deux francs six sous, on est passé à un large écosystème constitué de sites de toutes sortes, à l’utilisation de médias enrichis, de moteurs de recherche de plus en plus perfectionnés, sans compter le fatras de technologies de récolte de données ou d’assistants vocaux… Et au train où vont les choses, difficile de penser que cette course permanente à l’innovation technologique va diminuer ou s’arrêter, au contraire. Comme le relève l’article sur le low-tech, Internet dévore actuellement 10% de l’électricité mondiale, et certains chercheurs font même des projections à 20% de l’électricité mondiale d’ici 2025, c’est énorme ! Et histoire d’enfoncer le clou dans le cercueil, on parle également dans ce même article qu’Internet contribuerait à 3,5 % des émissions mondiales de carbone d’ici 2020 – plus que l’avion et le transport maritime – et jusqu’à 14 % en 2040, soit la même empreinte aujourd’hui laissée par les USA !

A moins de communiquer activement là-dessus, je crois difficile une prise de conscience généralisée : au contraire de la voiture ou de l’avion, Internet et le web sont des choses intangibles, on a peine à croire que ça pollue, on ne voit pas que ça pollue, et pourtant c’est dévastateur. Les entreprises du numérique ont tout intérêt à ne pas laisser s’ébruiter la chose ; si l’on devait légiférer sur l’empreinte carbone d’Internet, la croissance du secteur du numérique en prendrait un « coût », ce serait terrible pour l’ensemble de ses acteurs. Quand on voit à quel point les géants du pétrole tirent sur la corde pour continuer à exploiter des gisements, on peut raisonnablement mettre en doute la volonté des GAFAM / BATX à réduire leur consommation de ressources. Quelques start-ups vertes et une brochette de citoyens armés de pancartes n’y changeront pas grand-chose, il est nécessaire que les états prennent le relais sur ces questions. Mais le pourront-ils avant qu’il ne soit trop tard ?

Les GAFAM eux-mêmes se contrefichent de réduire leur empreinte écologique, il ne faut pas oublier que ce sont des entreprises, elles sont d’abord et avant tout dans la création de valeur et de profit. Elles ne le disent pas ouvertement, mais il suffit de suivre attentivement leurs conférences, keynotes et autres annonces fracassantes pour s’apercevoir de la chose. Deux exemples : le premier avec Google Stadia, la plateforme de streaming de jeux vidéo à haut débit qui sera lancée en novembre 2019, le deuxième avec le service de streaming d’Apple, Apple TV+, qui va débarquer à l’automne 2019 pour concurrencer Netflix. Il faut imaginer la débauche de moyens techniques qu’ils vont devoir mettre en œuvre pour assurer ces services ; ce n’est pas pour rien que Google investit dans un nouveau datacenter en Finlande. Toutes ces nouveautés « fantastiques » ont un impact environnemental certain, il ne faut pas être naïf, et participent à ce que l’on appelle l’économie de l’attention : proposer toujours plus de choses et de services pour capter l’internaute et l’enchaîner dans les fers de la servitude numérique.

Par ailleurs, je ne suis pas certain que les citoyens eux-mêmes soient prêts à passer à du web low-tech. Dans l’idée, il faudrait à la fois fortement réduire la bande-passante ainsi que les services Internet et web. Qui a envie de revenir à un web minimaliste des années 90 ? Ce serait comme enlever une sucette à un gamin capricieux et colérique. Il faudrait des politiciens très courageux pour mener à bien ce genre de mesures impopulaires. S’il y en a quelque part, qu’ils se manifestent.

Je ne vois que deux solutions réellement efficaces pour réduire les émissions de carbone du secteur du numérique : ou les scientifiques mettent au point une source d’énergie propre, comme la fusion nucléaire, afin d’alimenter l’orgie de moyens techniques utilisés par les géants du numérique, ou bien l’on débranche tout, car je doute qu’il puisse y avoir de compromis sur cette question.

Comme je suis un gars optimiste, je parie sur la première option (et que l’on saura résoudre la pénurie de matériaux rares, ce qui n’est pas une mince affaire). J’espère que l’avenir me donnera un jour raison.

Question subsidiaire : que fais-tu toi-même au quotidien pour réduire ton empreinte écologique ?

Changer de métier. Je plaisante à peine, j’y songe sérieusement, pour plusieurs raisons en vérité. Plus on forme de gens dans le web, plus on alimente la machine, c’est un cercle vicieux.

Du reste, j’essaie déjà de ne pas acheter tout et n’importe quoi et de consommer que ce dont j’ai réellement besoin ; la meilleure réponse à la surconsommation, c’est de ne pas consommer la soupe que l’on essaie de nous vendre. Ce n’est pas toujours facile car il y a toujours cette part d’irrationnalité qui nous pousse à acheter le dernier machin à la mode, mais j’essaie de me raisonner et d’y résister, bien que, je le confesse, il m’arrive d’y céder parfois.

J’essaie en outre de consommer autrement, c’est-à-dire acheter des produits locaux si possible, et pas forcément bio – c’est aujourd’hui une étiquette un peu fourre-tout, vide de sa substance, ça me fait toujours marrer de voir des bananes libellées bio alors qu’elles viennent de Martinique et ont traversé en avion la moitié de la planète.

Enfin, ça passe par des petits gestes au quotidien, faire attention à l’eau qui coule, trier soigneusement ses déchets, éviter de prendre la voiture pour aller chercher sa baguette de pain à cinq-cents mètres… Ce n’est pas grand-chose, mais, encore une fois, c’est mieux que rien. Entre regarder la maison brûler sans broncher et éteindre l’incendie avec une cuillère d’eau, je préfère être le type à la cuillère. Et qui sait, à plusieurs, on finira peut-être par circonscrire les flammes. »

Un grand merci à toi pour ces réponses précises et tranchées !

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